Texte Étienne de La Boétie
Adaptation et mise en scène
Stéphane Verrue
Comment un peuple tout entier peut-il se laisser asservir ? Et que doit-il faire, ce peuple, pour recouvrer sa liberté ? De quoi l’Homme est-il capable ?
Vers 1550, un jeune juriste de 17 ans, Étienne de La Boétie, écrit ce Discours de la servitude volontaire, dans lequel il analyse très finement l’image du tyran, les rapports ambigus de l’Homme avec le pouvoir, pour finalement pousser la réflexion jusqu’à cet oxymore scandaleux, qui lui vaudra une admiration, siècle après siècle.
Bien plus qu’un écrit, c’est avant tout un discours, au sens de l’expression oratoire, d’une parole proférée devant une assemblée, dans une langue imagée, directe, et même parfois drôle. Campé par François Clavier, seul en scène, La Boétie nous parle de la peur, de la bassesse, de la complaisance, de la flagornerie, de notre passivité et de l’humiliation de soi-même. Éclairant, limpide et furieusement d’actualité !
« Il ne faut pas faire de doute que nous soyons naturellement libres «
Etienne de La Boétie
Avec François Clavier
Traduction en français moderne Séverine Auffret (éd. Fayard, 1995)
Lumières David Laurie
Costumes Alfi o Scalisi
Comme vous le savez peut-être, le Discours de la Servitude Volontaire est à l’origine de la grande amitié qui lia Michel de Montaigne à Etienne de La Boétie, alors jeune juriste de 17 ans. Comme vous le savez sûrement, ce Discours a marqué de manière durable la pensée philosophique et politique, du XVIe siècle à nos jours.
Quand j’ai décidé de travailler sur ce texte, je pensais beaucoup à l’élection présidentielle de 2012. Quand il m’était demandé de présenter ce Discours, très souvent, presque toujours, j’opposais deux organisations de société : l’une verticale, l’autre horizontale. Aujourd’hui, nous avons un autre président de la République (élu par beaucoup d’entre nous) et sommes, chaque jour davantage, face à un pouvoir ultra-autoritaire, devenu totalement sourd, usant de la force à outrance (violences policières) et d’outils anti-démocratiques à sa guise (le 49/3).
Heureusement, depuis quelque temps, des voix se font entendre, et le mouvement des Nuits debout par exemple libère la parole et propose des alternatives, peut-être utopiques mais tonifiantes et généreuses. Opposition à nouveau entre le vertical et l’horizontal…
Alors, plus encore peut-être qu’il y a 5 ans, le texte de La Boétie résonne à nos oreilles d’aujourd’hui.
Dans son Discours, La Boétie interroge avec acuité les notions de liberté, d’égalité et même de fraternité (tiens, tiens…). Et, s’il analyse très finement l’image du tyran et les mécanismes de la tyrannie, c’est ce paradoxe de servitude volontaire qui retient le plus l’attention du lecteur, de l’auditeur. Qu’est-ce qui fait qu’un peuple tout entier se laisse « asservir » ? Et que doit-il faire, ce peuple, pour recouvrer sa liberté ?
La Boétie ne donne pas de leçon. Simplement il questionne cet oxymore scandaleux (il est à noter que ce Discours de la Servitude Volontaire est aussi connu sous un autre titre : Le Contr’un, expression qui, à l’oreille, est pour moins troublante : Le Contraint ?). En philosophe, psychologue et sociologue des masses avant l’heure, il met de la pensée en mouvement et, surtout, nous invite à le faire avec lui.
Plutôt que de paraphraser telle ou tel, je vous propose de lire ces quelques lignes de Séverine Auffret, qui a établi une traduction du texte en français moderne et dont je me suis inspiré pour notre travail :
Le « Discours de la servitude volontaire » déborde de son cadre de lecture politique traditionnelle. La fascination répétée qu’il exerce vient de ce qu’il jette aussi les bases d’une étude des rapports de domination-servitude dans les relations intimes, interpersonnelles. Le tyran n’est pas seulement une catégorie politique, mais aussi mentale, voire « métaphysique ». Ce rapport domination-servitude ne se noue pas seulement dans la société constituée, mais encore au plus intime de la conscience. L’appel aux « saveurs de la liberté » engage sans doute le peuple et le citoyen, mais aussi et peut-être d’abord l’individu, toujours en quête d’un tyran qui le tyrannise, quand ce n’est pas la figure inverse : celle d’un « soumis » à tyranniser. Ce que dit La Boétie de la peur, de la bassesse, de la complaisance, de la flagornerie, de l’humiliation de soi-même, de l’indignité, de l’aliénation des intermédiaires (courtisans, lieutenants et porte-voix divers), par sa vérité criante – et combien actuelle ! – donne, sainement, froid dans le dos. La tyrannie est toujours prête à se renouer dans un rapport d’emprise partiellement consenti. Nous ne tirons pas du « Discours de la servitude volontaire » une simple leçon politique, mais encore une leçon éthique, morale, comme l’appel à rejeter de nous-mêmes la figure menaçante, et cruelle, et adorée, du tyran.
La Boétie se garde bien d’offrir aux problèmes qu’il pose une quelconque « solution miracle », restant sur une position critique qui lui évite tout enlisement dans la pâte des réalités constituées. Cette lucidité critique n’implique aucun pessimisme, mais une constante invite à la vigilance, tant collective que personnelle.
(Séverine Auffret, in La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Editions Mille et une nuits, Paris, 1995).
[COLUMN]
Ceux d’entre vous qui connaissent le texte ne pourront qu’acquiescer. Ceux qui ne le connaissent pas encore vont découvrir l’extrême justesse de ces lignes.
De plus, si La Boétie écrit bien un « discours » au sens philosophique du terme (traité développant méthodiquement un sujet), on a la sensation permanente d’entendre un « discours » au sens expression verbale, oratoire, parole proférée devant une assemblée. En humaniste convaincu, La Boétie s’est inspiré des grands classiques grecs et romains (Cicéron n’est jamais très loin) et sa pensée se laisse suivre avec plaisir tant sa langue est toujours vivante, imagée, directe et parfois même… drôle !
Stéphane Verrue,
Mai 2016
François Clavier
Formé au Cours Florent et au CNSAD (classe d’Antoine Vitez), François Clavier a travaillé notamment avec Antoine Vitez (Les Burgraves, Le Révizor), Philippe Adrien (La Poule d’Eau, Monsieur de Pourceaugnac, Ubu Roi), Jean-Pierre Vincent (Le Chant du Départ, Les Caprices de Marianne, Fantasio, Lorenzaccio), Klaus Michaël Grüber (La Mort de Danton), Stuart Seide (Roméo et Juliette), Alain Bézu (Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, L’Illusion Comique), Bernard Sobel (Dons, Mécènes et Adorateurs), ou encore Charles Tordjman (L’Amante Anglaise, Adam et Eve, Quoi de neuf sur la guerre ?, Oncle Vania).
Ces dernières années, on a pu le voir dans Les Vagues (d’après Virginia Woolf) mis en scène par Marie-Christine Soma (Studio-Théâtre de Vitry), Projet Théramène mis en scène par Jean Boillot (Maison de la Poésie), Une voix sous la cendre (de Z. Gradowski) mis en scène par Alain Timar (Théâtre des Halles, Avignon), Le Faiseur de théâtre (de Thomas Bernhard) mis en scène par Julia Vidit, Le triomphe de l’amour (de Marivaux) mis en scène par Galin Stoev, Farben (de Mathieu Bertholet), mis en scène par Véronique Bellegarde, ou encore Kids (de Fabrice Melquiot) mis en scène par Maroussa Leclercq.
Très investi dans l’enseignement et la transmission (titulaire du Diplôme d’Etat d’Enseignement du Théâtre et du Certificat d’Aptitude), François Clavier est responsable de la classe d’Art Dramatique du Conservatoire du XIII° arrondissement. Par ailleurs, il intervient régulièrement au Centre National des Arts du Cirque ainsi qu’à l’UFR études théâtrales de la Sorbonne nouvelle.
Stéphane Verrue
Après des études à l’INSAS (Belgique), Stéphane Verrue fonde, au milieu des années 70, Le Théâtre Hypocrite à Bruxelles (avec notamment Philippe Geluck). Avec cette compagnie, il crée ses premiers spectacles. Il devient ensuite assistant d’Otomar Krejca (Roméo et Juliette, Lorenzaccio, Les Trois Soeurs).
Au début des années 80, il revient en France et fonde avec vue sur la mer, sa propre compagnie. Pendant 10 ans, il est artiste associé au Théâtre d’Arras (direction de Max Gaillard). En 2002, Stéphane Verrue est lauréat du Coup de Coeur de l’ADAMI. Depuis 2003 avec vue sur la mer est implantée à Arras.
Stéphane Verrue a mis en scène notamment Samuel Beckett (plus de dix dramaticules), Kurt Tucholsky (Chronique des Années de Merde), Stig Dagerman (Où est passé mon Chandail Islandais ?) Pierre Corneille (Suréna), William Shakespeare (Roméo et Juliette), Johann Nestroy (Le Talisman) ou encore Per Olov Enquist (Pour Phèdre).
Stéphane Verrue est également l’auteur de All ze world (fantaisie qu’il a mise en scène pour les comédiens de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, 1996), Giordano Bruno (2000), Tempus tic tac (solo sur le temps, 2002), A la Fortune du Pauvre (cabaret sur l’argent, commande de la Comédie de Béthune, 2008) et Rock never sleeps (théâtre/musique, co-production Scène nationale de Sénart/Scène nationale de Châteauroux, 2009) et Philosophes à l’encan, d’après Lucien (2014), vente aux enchères de philosophes présocratiques qui se joue avec un comédien professionnel et un groupe de collégien-ne-s.
Pourquoi, loin de tout éveil à la conscience politique, les peuples s’en laissent-ils conter pour s’abandonner à la passivité, cette forme perverse d’endormissement ?
La pertinence de ces questions politiques et citoyennes fait écho à notre stricte contemporanéité, depuis nos modestes échéances électorales jusqu’au plus ample Printemps arabe.
(…) François Clavier porte sur ses épaules ce questionnement précieux du monde.
C’est un plaisir que de se laisser bercer par la parole claire et timbrée de l’acteur, une voix qui travaille à ce que l’homme se libère sciemment.
Véronique Hotte, La Terrasse, Octobre 2011
François Clavier campe un La Boétie impressionnant. L’acteur (…) fait vivre, mot par mot la stupéfiante modernité de ce texte.
Charles Silvestre, L’Humanité, juillet 2011
François Clavier, mis en scène par Stéphane Verrue, s’en fait l’interprète aussi fin que rigoureux, aussi juste que pétillant. Il ne fait pas seulement entendre une « grand » texte. Il donne à voir, à vivre, à toucher presque, une pensée en mouvement.
Didier Mereuze, La Croix, juillet 2011
Production/diffusion Cie avec vue sur la mer. La Cie reçoit le soutien du Conseil régional des Hauts-de- France, du Conseil départemental du Pas-de-Calais et de la ville d’Arras. Le spectacle a été créé le 1er mai 2011 à Arras, dans le cadre du Salon du Livre d’Expression populaire et de Critique sociale. Il est labellisé par la LICRA.