Chorégraphie, mise en scène et texte Kaori Ito
Scénographie Hiroshi Ito
Au début, ce ne sont que des questions anodines : « Pourquoi tu manges la nuit ? », « Pourquoi quand je suis là, tu es toujours fatigué ? ». Puis elles se font plus intimes : « As-tu déjà trompé ma mère ? », « Tu as peur que je ne sois plus ta fille ? ».
En duo avec son père Hiroshi, sculpteur japonais de renom, Kaori Ito questionne le rapport père-fille que des milliers de kilomètres et le clivage des cultures distendent depuis dix ans. Pour mettre en scène ces retrouvailles avec son sang et ses racines, elle explore un nouveau langage chorégraphique qui passe autant par les mots que par la danse. « Il ne faut pas que tu bouges dans l’espace, martelait son père, mais que ta danse fasse bouger l’espace ». Alors, quand les mots se tarissent, elle l’invite à entrer dans sa danse, pour prendre le relais et « faire bouger l’espace ». Et le ballet que leurs deux corps danseront ensemble, l’un modelé par la sculpture, l’autre par la danse, dira comment s’aimer maintenant.
Ecoutez l’émission là En sol majeur par Yasmine Chouaki sur Rfi, consacrée à Kaori Ito et à son spectacle Je danse parce que je me méfie des mots
Chorégraphie, mise en scène et texte Kaori Ito
Scénographie Hiroshi Ito
Avec Kaori Ito, Hiroshi Ito
Assistant à la chorégraphie Gabriel Wong
Scénographie Hiroshi Ito
Dramaturgie et soutien à l’écriture Julien Mages
Lumières Arno Veyrat
Musique Joan Cambon et Alexis Gfeller
Conception des masques et regard extérieur Erhard Stiefel
Costumes Duc Siegenthaler
Coaching acteur Jean-Yves Ruf
Dans ce projet, il sera question du rapport père-fille. Je veux recréer une rencontre avec mon père, comme pour retrouver quelque chose de perdu. Une rencontre à la fois artistique et humaine, la rencontre de deux êtres séparés par des milliers de kilomètres, et par une sorte d’éloignement culturel. En Mars 2011, l’année du Tsunami, après 10 ans d’absence, j’ai revu ma chambre à Tokyo, chez mes parents. Elle n’a pas changé depuis mes 20 ans. Mes parents l’ont laissé telle qu’à l’époque. Ensuite, j’ai vu les photos de moi dans le salon. Cela m’a donné la sensation d’être comme une morte dans cette maison. Comme si, depuis mon départ, ils gardaient mes affaires intactes pour conserver la fille qu’ils avaient auparavant, quand j’étais encore au Japon, comme si le temps s’était arrêté depuis mon départ. Pour une fille, le père représente à la fois l’autorité et une personne à dépasser. J’ai toujours tenté de plaire à mon père. J’ai donc travaillé toute ma vie afin qu’il soit content de moi. Petite, il me disait ce que je devais faire. Avant, j’écoutais ses conseils artistiques avec respect, mon père est sculpteur au Japon. Il représentait quelqu’un que j’admirais, quelqu’un qui détenais une vérité et j’exécutais scrupuleusement ce qu’il me disait de faire. Parfois ses remarques étaient très profondes, comme celle-ci : « il ne faut pas que tu bouges dans l’espace, mais que ta danse fasse bouger l’espace. » Mon père a toujours voulu conserver son autorité sur moi, peut-être pour que je reste sa fille. Maintenant que je suis loin, que je me réalise, je me sens paradoxalement plus proche de lui artistiquement, mais trop loin affectivement. Aujourd’hui, je réalise que c’est lui qui cherche à me plaire. Maintenant, il me respecte comme danseuse. Il me reconnaît comme professionnelle et c’est pour cela qu’il veut danser avec moi. Quand je rentre au Japon, mon père veut toujours danser avec moi des danses de salon. Cela m’a toujours gênée mais maintenant je suis prête à danser avec lui en public. J’aimerais le retrouver sur un plateau. Que les retrouvailles de nos corps de même sang et différents, le sien modelé par la sculpture et le mien par la danse, fassent bouger l’espace. La distance nous oblige à manifester l’amour autrement, de manière plus subtile. Au Japon, on ne montre pas ses sentiments. Lorsqu’une famille est réunie dans le même pays, l’intimité existe du fait de se voir et de vivre des choses ensemble, mais vivant à l’autre bout du monde, on a la sensation de devenir étranger à sa propre famille, on perd une relation concrète. Peut-être que le dessein de ce spectacle est la danse que nous ferons ensemble, après avoir dit ce qui peut l’être par la parole. Parce qu’au Japon on se méfie des mots. Dans le film La maison, Amos Gitaï se demande « pourquoi faut-il détruire une maison pour en reconstruire une autre ? » Ce que je traduis par : pourquoi devoir détruire une relation pour en reconstruire une autre ?
Kaori Ito
Kaori Ito est née à Tokyo, elle étudie le ballet classique dès l’âge de 5 ans. Á 18 ans, elle est reconnue comme meilleure jeune danseuse et chorégraphe par le critique Ryouiti Enomoto. En 2000, elle part aux Etats-Unis pour intégrer la section danse de l’Université Purchase. Elle y étudie les techniques de Graham, Cunningham, Limon et Horton. De retour au Japon, elle obtient en 2003 un diplôme de sociologie et d’éducation à l’Université de Saint-Paul à Tokyo. La même année, elle étudie à l’Alvin Ailey Dance Theater. De 2003 à 2005, elle tient le premier rôle dans la création de Philippe Découflé, Iris. Elle travaille sur Les 4 saisons d’Angelin Preljocaj. En 2008, elle assiste Sidi Larbi Cherkaoui pour le film Le bruit des gens autour avec Léa Drucker et travaille de nouveau avec lui en tant que soliste dans l’opéra de Guy Cassiers House of the sleeping beauties. Cette même année, elle crée son premier spectacle Noctiluque au Théâtre de Vidy- Lausanne. En 2009, elle présente sa deuxième création Solos au Théâtre Le Merlan – scène nationale de Marseille, présenté ensuite à la Biennale de Lyon en 2012. Island of no memories, sa troisième chorégraphie, naît en 2010 lors du concours (Re)connaissance et obtient le premier prix. Après avoir dansé et collaboré avec Alain Platel sur le spectacle Out of Context, Kaori Ito crée son quatrième spectacle Asobi, produit par Les Ballets C de la B en 2013. En 2014, elle crée La religieuse à la fraise avec Olivier Martin-Salvan dans le cadre des Sujets à vif au Festival d’Avignon et pour le festival Paris Quartier d’Ete. En 2008, elle est en charge de la chorégraphie du spectacle Looking for Mister Castang d’Edouard Baer. En 2011, elle danse et collabore avec Denis Podalydès pour Le Cas Jekyll 2, de Christine Montalbetti et continue avec lui comme chorégraphe pour Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, L’homme qui se hait d’Emanuel Bourdieu et Lucrèce Borgia de Victor Hugo pour la Comédie Française. En 2014, Elle danse et collabore avec Yoshi Oida pour Yumé.
[COLUMN]
Hiroshi Ito vit et travaille en tant que sculpteur à Tokyo. Il commence sa carrière par le théâtre, la mise en scène et la scénographie. Diplômé d’un master des Beaux-Arts et de Musique option sculpture en 1974, il designe les placards de la rue à Ginza à Tokyo, travaille pour le Tokyo Disney land pour une installation ainsi que pour les statues du zoo et créé des trophées pour Les Music Awards du Japon. En 1997, Il est invité en résidence de deux mois par le Lapin Taidetoimikunta Art council of Lapland en Finlande. En 1999, la société de bières Ebisu lui commande une installation pour la station de métro du quartier Ebisu. En 2013, il est invité par le CAAA, Centro para os Assuntos da arte e arquitectura pour une résidence d’un mois et une exposition à Guimaraes au Portugal.
Elle est épatante, aventureuse, drôle parfois, toujours partante pour des échappées insolites. La danseuse et chorégraphe japonaise Kaori Ito, passée par les compagnies de Philippe Decouflé, Angelin Preljocaj et Alain Platel, se risque dans un autoportrait intime joliment intitulé Je danse parce que je me méfie des mots. Rien que pour cette entrée en matière, on a envie de lui emboîter le pas illico. Au programme de ce qui s’annonce comme un plongeon en apnée dans l’enfance : ses racines japonaises à travers l’évocation de son père, Hiroshi Ito. A découvrir.
Télérama, Rosita Boisseau – octobre 2015
Production Association Himé.
Coproduction et accueil en résidence Le Théâtre Garonne – scène européenne / Toulouse, Le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – scène nationale, L’ADC / Genève, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, La Ménagerie de Verre / Paris, Le Lieu Unique / Nantes, Le Klap Maison pour la danse / Marseille, L’Avant-Scène – scène conventionnée / Cognac, Le Channel – scène nationale / Calais, La Filature – scène nationale / Mulhouse.
Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Ile-de-France, de la ville de Genève, de la Fondation Sasakawa, d’Arcadi Ile-de-France, de la SSA – société suisse des auteurs, de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Gohner et de Pro Helvetica.
L’association Himé reçoit le soutien de la Fondation BNP Paribas pour l’ensemble de ses projets.