Mise en scène Clément Hervieu-Léger
L’histoire théâtrale a retenu « l’affaire Tartuffe », un peu moins la querelle de « l’École des femmes », qui pourtant permit à Molière de répondre à ses détracteurs, non par un texte théorique, mais par deux courtes comédies en prose, révélatrices de la puissance qu’il accorde à l’écriture dramatique et au genre comique, porteur de la jeunesse et réplique à toutes les critiques.
De cette impertinence élégante, Clément Hervieu-Léger a choisi de faire le terrain d’expression de seize jeunes comédiens, tout droit sortis du Conservatoire National d’Art dramatique, instance suprême, qui les destine à une carrière brillante. C’est dans ce tourbillon, fait de cette Critique de l’École des Femmes, de l’Impromptu de Versailles et de deux autres pièces de Molière que les comédiens exprimeront leur inextinguible foi dans le Théâtre, une foi faite de doutes et de folles espérances.
Avec L’Impromptu, Molière pousse plus loin encore son obsession du naturel et fait voler en éclats la notion même de rôle ou de personnage. Il s’agit maintenant pour l’acteur de figurer “qu’il est ce qu’il représente”.
Clément Hervieu-Léger
Avec James Borniche, Louise Chevillotte, Jean Chevalier, Manon Chircen, Marceau Deschamps-Ségura, Charlie Fabert, Maïa Foucault, Florent Hu, Hugues Jourdain, Pia Lagrange, Joseph Menez, Asja Nadjar, Isis Ravel, Morgane Real, Roxanne Roux, Alexiane Torres, élèves diplômés du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique
Collaboration artistique Clémence Boué
Musique Pascal Sangla
Costumes Valérie Montagu
Scénographie Camille Duchemin
6 janvier 1663. La troupe de Molière joue L’École des femmes en présence du roi. En dépit des critiques dont la pièce fait l’objet depuis quelques semaines, la représentation reçoit un accueil triomphal. Louis XIV, conquis, accorde à la troupe une gratification royale. Mais le succès, d’où qu’il vienne, n’a jamais fait taire les jaloux. Au mois de février, Donneau de Visé publie Les Nouvelles nouvelles dans lesquelles il s’en prend violemment à Molière et à ses œuvres. L’École des femmes est l’objet d’attaques virulentes. Ses détracteurs lui reprochent ses manquements formels (non observance des règles classiques, absence d’action comme de sujet) mais ils accusent encore davantage son auteur de se livrer là à des satires personnelles. Chacun croit se reconnaître derrière le masque tombé de tel ou tel personnage. C’est la cabale des délicats. Molière annonce alors qu’il répondra à ses censeurs par une « petite comédie », « une dissertation faite en dialogue ». Le 1er juin, il présente ainsi La Critique de l’École des femmes, pièce en un acte et en prose mettant en scène des spectateurs conversant à l’issue d’une représentation de ladite pièce. Il inaugure, ce faisant, un genre dramatique nouveau, celui de la « sortie de théâtre », que reprendront après lui Gogol, Valentin, Dubillard ou Grumberg. Mais cette réponse de Molière ne suffit à calmer ses ennemis. Donneau de Visé, Boursault, Pierre et Thomas Corneille se déchainent de plus belle. La querelle est à son acmé. Au blâme de sa pièce succèdent maintenant les attaques en règle sur sa vie privée. Fin septembre, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne jouent Le Portrait du peintre ou la Contre-critique de l’École des femmes de Boursault. La pièce multiplie les allusions scabreuses à la vie sentimentale de Molière en s’en prenant notamment, de manière particulièrement obscène, à Madeleine Béjart. Une fois encore, le patron de l’Illustre Théâtre ne désarme pas et choisit de répondre aux insultes par le théâtre. Le 14 septembre 1663, à l’invitation du roi, il crée une nouvelle pièce en un acte et en prose : L’Impromptu de Versailles. Molière s’y met en scène dans son propre rôle répétant avec les acteurs de sa troupe. D’autres l’imiteront, de Pirandello à Lagarce. Il y parodie le jeu de l’Hôtel de Bourgogne, réplique avec mépris à Boursault, prie ses adversaires de rester dans les bornes de la décence et annonce qu’il se taira désormais.
« L’affaire « Tartuffe » », qui éclatera l’année suivante, a eu tendance à nous faire oublier quelque peu l’importance de la querelle de L’École des femmes dans notre histoire littéraire et théâtrale. Le choix que fait Molière de répondre à ses détracteurs, non par un texte théorique (ce qu’il fera avec les placets du « Tartuffe »), mais par deux courtes comédies en prose est révélateur de la puissance qu’il accorde à l’écriture dramatique et plus précisément au genre comique. Le théâtre nous parle de nous, à nous, ici et maintenant. Molière initie là une véritable révolution théâtrale. Ainsi l’année 1663 représente, sans conteste, un tournant décisif dans la construction de l’acteur moderne. Avec « La Critique », Molière invente le théâtre en temps réel : rien ne se passe en dehors du plateau. Avec L’Impromptu, il pousse plus loin encore son obsession du naturel et fait voler en éclats la notion même de rôle ou de personnage. Il s’agit maintenant pour l’acteur de se figurer « qu’il est ce qu’il représente ». Quatre siècles plus tard, notre obsession reste la même. Et nul mieux que Molière n’a pu, je crois, raconter avec tant de justesse l’inextinguible foi dans le théâtre qui anime dix-sept jeunes comédiens à l’heure de quitter l’école. Une foi faite de doutes et de folles espérances.
Clément Hervieu-Léger
mars 2017
Le parcours de Clément Hervieu-Léger est unique. Elève au conservatoire du Xe arrondissement de Paris, il est vite repéré, abandonne le droit et les sciences politiques et, après de fructueuses collaborations artistiques, devient pensionnaire de la Comédie-Française en 2005. Parallèlement à son travail de comédien, il a été le collaborateur de Patrice Chéreau. Avec Daniel San Pedro, il cofonde la Compagnie des Petits Champs à Beaumontel et crée l’Étable, établissement d’activités culturelles en milieu rural. À la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger met en scène La Critique de l’École des femmes et Le Misanthrope de Molière puis Le Petit Maître corrigé de Marivaux, dont il monte respectivement Monsieur de Pourceaugnac et L’Épreuve. À l’Opéra, il signe les mises en scène de La Didone de Cavalli et de Mitridate de Mozart. Clément Hervieu-Léger est professeur de théâtre à l’école de danse de l’Opéra national de Paris. Il cosigne avec Georges Banu le livre J’y arriverai un jour. En 2014, il écrit sa première pièce, Le Voyage en Uruguay. Le public du Festival d’Avignon se souvient de Clément Hervieu-Léger dans le rôle de Gunther von Essenbeck dans Les Damnés, mis en scène par Ivo van Hove et présenté en 2016 dans la Cour d’honneur du Palais des papes. En 2017, il crée Impromptu 1663, dans le cadre d’un atelier avec les élèves de 3e année du Conservatoire national supérieur d’Art Dramatique, et qui sera joué au Théâtre de Suresnes.
Le Grand Siècle, [Clément Hervieu-Léger] est tombé dedans quand il était petit, émerveillé par Versailles, les ors et costumes de Louis XIV. Devenu metteur en scène; il dépoussière les classiques. Et si la modernité était née en 1663 ?
Interview de Clément Hervieu Léger – Télérama, Aurélien Ferenczi – juillet 2017 : à lire ici
« Molière répond aux attaques en faisant du théâtre. Et c’est une révolution dramaturgique beaucoup plus importante qu’on pourrait le penser. […] Molière nous permet non seulement de parler de nous-mêmes, mais aussi de notre commune humanité. […] Je pense qu’il n’y a pas un auteur plus politique que Molière. Bien sûr, il nous parle autrement, ce n’est pas Brecht, c’est moins frontal. Mais Molière ne cesse d’interroger la manière dont les hommes vivent ensemble. »
Interview de Clément Hervieu Léger – La Terrasse, Manuel Piolat Soleymat – juin 2017 : à lire ici
Avec les élèves diplômés de la 3e année du Conservatoire national supérieur d’art dramatique.